L’impôt sur le patrimoine en général.
J’ai toujours pensé que l’impôt sur la seule possession d’un patrimoine avait quelque chose d’absurde lorsqu’il s’agissait d’un patrimoine de rapport en non d’un patrimoine de confort ou d’usage comme une automobile ou une maison d’habitation. Dans la mesure où ce sont les revenus rapportés par ce patrimoine et non le patrimoine lui-même qui changent quelque chose à la situation matérielle de l’individu, la logique commande d’imposer les revenus et non le patrimoine lui-même – sauf au moment où se patrimoine se transmet, que ce soit par cession ou par héritage, car alors il constitue un flux, peut être assimilé à un revenu et taxé par des droits de mutation, de succession ou sur les plus-values réalisées.
Il va de soi qu’un objectif de justice sociale ne peut être atteint que par une fiscalité principalement assise sur les revenus, très progressive et à condition qu’on les intègre tous, quelle que soit leur origine : l’idée d’avoir un taux marginal même de 95% ne me choque nullement, tout dépend à quel niveau, quelle tranche de revenu on le place. Les taux doivent être, en outre, au moins identiques sur les revenus du travail et du capital et si l’on veut ne pas voir réapparaître la catégorie des rentiers, peut-être plus élevés sur les revenus du capital. C’est un minimum de cohérence que l’on est en droit d’exiger de la part de ceux qui prétendent vouloir « valoriser le travail » et « ceux qui se lèvent tôt ».
Sur la transmission des patrimoines par héritage, il faut être clair : la pire atteinte qui soit à la démocratie, à l’égalité des chances, à la récompense du mérite se situe précisément là, au moment de l’héritage qui tombe du ciel à quelqu’un qui n’a fait rien d’autre pour cela que de naître fils ou fille de…
Les inégalités des chances transmises, qu’elles résultent de la génétique, mais aussi des réseaux, du patrimoine culturel sont déjà à ce point immenses qu’il est, pour moi, inadmissible de leur ajouter en plus, celle des biens matériels. Ou alors il ne faut pas se prétendre « démocrate » ou même « de gauche ».
Je sais que c’est une opinion qui choquera mais elle a, au moins, pour elle, la cohérence.
En revanche la droite, sur ce point n’aura aucun état d’âme : rappelons que, par les donations permises par la loi TEPA, si l’on commence à 50 ans, en réalisant la dernière à 74 ans, on peut transmettre par donation à deux de ses enfants un total de 1 569 740 euros par enfant sans droits et que sur le reste qui sera transmis au moment de l’héritage, en plus, 627 896 euros pourront être déduits de l’assiette des droits de succession. Pour deux enfants, ce sont ainsi 3 767 376 euros qui échappent à toute taxation sur les successions.
Le bouclier fiscal.
La propagande sarkozyste, nous l’a présenté comme un garde-fou, une protection contre le « vol » de plus de la moitié des revenus par le fisc. Il serait ainsi anormal que l’on doive travailler plus de deux jours par semaine pour la collectivité.
Le livre de Michel et Monique Pinçon
« Le président des riches » a, entre autres, l’immense avantage de clarifier cette question assez complexe, il est vrai, (volontairement, peut-être ?).
1) D’abord, la quasi-totalité des revenus concernés par le bouclier fiscal sont des revenus du capital. Il y a très peu de personnes dont les revenus du travail seraient à un niveau tel qu’elles soient concernées par ce bouclier. Donc, en dehors des revenus des entrepreneurs individuels qui sont mixtes (capital-travail) seuls sont concernés des revenus qui résultent du travail des autres (actions, obligations, fonds communs de placement).
2) Ensuite, on pourrait à la rigueur justifier le bouclier fiscal si tous les revenus étaient pris en compte, or seuls entrent dans ce calcul les revenus qui n’ont pas déjà échappé à l’impôt par ailleurs, soit qu’ils coulent des jours paisibles dans un paradis fiscal, soit qu’ils aient subi une cure d’amaigrissement par l’application de l’une ou de plusieurs des
486 niches fiscales recensées en 2008 ( il est amusant de constater que leur nombre a commencé par augmenter sous Sarkozy pour soi-disant diminuer en 2010 de.. 4 ! ). Elles seraient actuellement au nombre de 482, mais là c’est un gag,
leur incidence sur la diminution des recettes a augmenté…
3) Si le bouclier fiscal n’est pas une invention Sarkozyste, il faut tout de même savoir qu’il en a considérablement augmenté l’effet.
Déjà il l’a fait passer de 60 % à 50 %, mais surtout il a augmenté le nombre de prélèvements obligatoires qui interviennent dans le calcul : jusque là, seul le total de l’IRPP, de l’ISF, de la taxe d’habitation et de la taxe foncière ne devait pas dépasser les 60 % du revenu. En même temps qu’il ramenait ce taux à 50% le pouvoir sarkozyste y a inclus la CSG et la CRDS qui sont des cotisations sociales, non des impôts et que tout le monde paye, même les ménages pauvres, non imposables ! Que l’on s’arrête un instant sur ceci : les ménages les plus pauvres payent une cotisation qui, chez les riches qui bénéficient du bouclier, va venir en déduction de leurs impôts ! … Joli coup, assurément…
Ceci a pour conséquence, bien évidemment, que les taux réels des impôts sur les revenus les plus élevés, amaigris par les niches fiscales et protégés par le bouclier, sont en réalité bien inférieurs à 50 %. Il y a même en 2010, figurez vous, 14 contribuables qui narguent le fisc et la démocratie en déclarant un patrimoine supérieur à 16 millions d’euros et un revenu annuel imposable inférieur à 3428 euros…
Restons dans le domaine du gag : en 2007 moins de 3 % des contribuables ayant droit à une restitution de trop perçu pour cause de bouclier fiscal ont effectivement demandé le remboursement.
La raison en est, à l’évidence, qu’à partir du moment où cette demande est faite, il faut apporter un certain nombre de justificatifs à l’administration fiscale et que beaucoup ont sans doute préféré s’asseoir sur ce remboursement plutôt que de devoir s’expliquer sur la réalité des leurs patrimoines et de leurs revenus… C’était donc tellement peu qu’il a été décidé, au ministère des finances, d’imputer ce trop perçu pour cause de bouclier fiscal directement sur la déclaration de revenus en cours. On a en quelque sorte obligé les riches à venir récupérer leurs sous…
Signalons, au passage que les 6% des contribuables les plus riches ont récupéré 63% du total des restitutions.
Il faut savoir enfin que le bouclier fiscal a été clairement conçu pour vider l’ISF de sa substance, on craignait de tout simplement l’abolir en raison de son symbole. Les chiffres montrent en effet clairement une corrélation entre bouclier et ISF : ce sont les plus assujettis à l’ISF qui ont les plus grosses restitutions au titre du bouclier fiscal.
Donc, braves gens, lorsque le « Président des riches » vous propose de réformer la fiscalité du patrimoine en supprimant et l’ISF et le bouclier fiscal, prudence, prudence, il se pourrait bien qu’il vous prépare une belle entourloupe…
Sources : les chiffres sont empruntés au livre de Michel et Monique Pinçon déjà cité.
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Eh ben ça c’est bien empaillé hier soir… Heureusement, les critiques radicaux de l’héritage ne se sont pas fait traiter de nazis à la mode Godwin, mais juste d’orwelliens, ce qui est une version polie et mesurée de la même chose, j’imagine.
Perso je reconnais que j’ai fait un peu de provoc pour voir où irait le débat sur ce sujet quand j’ai vu comment Castor démarrait sur les chapeaux de roue, et je dois reconnaître que je n’ai pas été déçu. C’était assez rock’n roll, on voit bien qu’on touche là à un point extrêmement sensible. De la provoc que j’ai fait, oui, mais uniquement sur quelques points précis. Par exemple les délais : il est évident qu’un tel bouleversement ne pourrait se faire que graduellement, sur un minimum d’un demi à trois quart de siècle, tant les changements dans les mentalités et les habitudes seraient profonds, sans parler du reste.
Enfin, à COLRE qui prétend que l’héritage est un invariant structurel sacré de l’anthropologie, je répondrai que la soumission de la femme ou l’influence coercitive des religions en sont d’autres, qui perdurent encore, certes, mais qui dans des coins du monde plus éclairés que d’autres ont pu être radicalement remis en question, et que c’est probablement aussi ce qu’il arrivera pour la « tradition » de l’héritage qui a connu de multiples mutations à travers les siècles et qui va en connaître d’encore d’autres bien plus importantes à travers l’atomisation et la désintégration (divorces, recompositions, bébés éprouvettes & tutti quanti) de la famille nucléaire bourgeoise, cellule sur laquelle il reposait depuis assez peu de temps au regard du temps long de l’Histoire.
N’en déplaise à COLRE et à ses alliés de drouâte sur ce coup, la transmission du patrimoine est un des éléments essentiels de la perpétuation de l’inégalité des chances et donc un levier majeur sur lequel peser pour y remédier. Se prétendre de gauche et minimiser ce fait est une position intenable.
L’héritage est l’exemple le plus flagrant de l’injustice du principe de Propriété. Il est fondé sur un principe absolument injuste et ne peut exister que dans une société au fond autoritaire. Pour que l’héritage continue, il faut que des castes existent.
Il n’y a véritablement que dans la classe possédante que l’héritage a de l’importance, leur fortune n’est acquise que grâce à la spéculation ou au bénéfice tiré sur le travail des salariés rétribués chichement.
Que peut léguer un ouvrier, un employé? Rien, si ce n’est quelques meubles et quelque minuscule épargne.
L’ héritage çá méne parfois á des histoires comme celle ci et bien d’autres lamentables,et je sais par expérience personnelle, que les magouilles de familles n’ont pas lieu seulement que dans les couches les plus
favorisées de la société.
Causette,
d’accord avec la derniére phrase de votre commentaire 😉
@ Causette & Lorenzo
Dites donc, vous seriez pas un peu orwelliens tous les deux ?
Je te fais remarquer que je suis resté muet depuis longtemps et que par conséquent je ne puis en aucune façon avoir troublé le cours bondissant de ces consciences à la jeunesse insolente.
Et toc je te f’rais dire
Marsu,
je ne te parle pas d’une quelconque vision orwellienne de l’héritage, juste d’une réalité concréte souvent cachée chez les gens simples, et s’étale dans la presse de gauche comme de droite lá oú
les enjeux de fric sont énormes.
Lorenzo, il se retrouve bien seul ce brave retraité d’edf,
normal puisqu’aujourd’hui tout ce qui reste de solidarité n’est plus que pétition.
« Le sens moral est en nous une faculté naturelle, tout comme le sens de l’odorat et le sens du toucher. Quant à la Loi et à la Religion, qui elles aussi ont prêché ce principe [de solidarité], nous savons qu’elles l’ont simplement escamoté pour en couvrir leur marchandise – leur prescription à l’avantage du conquérant, de l’exploiteur et du prêtre. » Piotr Kropotkine, La morale anarchiste – 1889
@ Lorenzo
S’cuse l’humour, c’était rapport à cette accusation d’orwellisme de COLRE, version Disonneuse du point Godwin…
ou blairistes
Marsu,
y’a pas de mal 😉 j’avais bien compris l’allusion, ayant suivi le fil jusque tard hier soir, et apprécié ton commentaire équilibré ce matin á 7h22 😉
Salut à tous, Oui, Léon, j’accepte vos excuses et vos fleurs… 🙂 se faire traiter de « bobo » et accuser de défendre « mon » porte-feuille comme cause cachée de mes convictions de gauche forcément « hypocrites », vous avouerez que c’est gratuit et insultant, et bien digne des pyra sisyphiens zénoïdes tancons… (oui oui, moi aussi je peux être insultante, y a pas d’raison 😉 )… On voit sur ce fil les limites du débat sur ce genre de support (fil de commentaires). Le vrai débat nécessite un échange qui n’est pas parasité par des raccourcis, des lectures rapides et déformantes, des téléscopages et confusions de position de plusieurs intervenants. Je viens de relire en diagonale ce fil, et il m’apparaît combien les opinions des uns et des autres sont schématisées jusqu’à la caricature… Les idées préconçues que l’on se fait de nos personnalités biaisent les lectures des commentaires d’autant plus s’ils sont nuancés et complexes. Pour développer des pensées ambivalentes, il faut du temps, de l’écoute et du calme, ce que n’offre pas ce média où tout va vite (et on n’a pas le temps – en tous cas, moi), où on s’écoute mal et où le rapport de force (avoir raison) joue à fond. Donc, je n’ai pas l’intention de revenir sur cette question, il me faudrait au moins 10 pages et du temps, et je n’ai ni l’un ni l’autre. En plus, je ne suis pas douée pour l’aphorisme et la pensée condensée… J’ai besoin de grands espaces pour m’exprimer. Je n’ai donc ni les moyens ni l’intention de convaincre qui que ce soit ni de me « défendre » de mes positions. Je tiens tout de même à préciser une chose : j’ai évoqué, dès mon premier commentaire, le parallèle que je faisais entre l’héritage et la propriété privée. Ceci explique tout le reste. Je traite les 2 de la même façon. Être de gauche non communiste, pour moi, c’est d’une part accepter ce goût très humain et banal pour la possession des biens et le sentiment d’appartenance au microcosme familial et communautaire-tribal, et c’est d’autre part vouloir en réformer les excès et les abus par une régulation forte, voire très forte. Mes références aux déterminismes anthropologiques n’avaient pas pour but d’en appeler à s’y soumettre aveuglément, bien au contraire, mais d’en souligner la profondeur structurante, nécessitant de ne pas être traités à la hache, de façon « totalitaire » (le Orwell de 1984!… Lire la suite »
@ COLRE
Il est sûr que tu as été parfaitement cohérente dans ta défense systématique du couple propriété privée-héritage, que tu considères comme indissociable à la fois pour des raisons politiques et anthropologiques. Sur le plan politique, c’est une position légitime mais que je ne partage pas, du moins dans le caractère extrême que tu lui donnes. Sur le plan anthropologique, je ne suis pas d’accord, pas du tout. S’il existe des invariants anthropologiques objectifs, il n’est pas du tout certain que l’héritage en soit un, et en tout cas il ne l’est certainement pas dans sa version bourgeoise configurée pour les familles nucléaires stables qui n’auront été qu’une parenthèse de l’histoire. Ou alors il faut mettre le statut inférieur de la femme et la mainmise du religieux sur les sociétés au même rang que l’héritage, et décider que le féminisme et la laïcité ont été de grossières erreurs pervertissant les invariants structurels anthropologiques. Et toc.
Enfin tu aurais pu éviter de qualifier tes contradicteurs de « communistes » et de « orwelliens » quand tu sais très bien qu’ils ne le sont pas. Ça aussi, c’est « gratuit et insultant, et bien digne des pyra sisyphiens zénoïdes tancons ». Et retoc.
Et sans rancune, bien entendu !
Marsu,
entierement d’accord avec toi dans ce second commentaire qui reprends tes arguments sous une autre forme que dans celui de ce matin, mais sans varier sur le fond.
Pour faire court, alors on ferait tout évoluer,laïcité,conquêtes sociales,droits etc…mais pour certains pas touche á l’héritage « invariant anthroplologique objectif » 🙄 😯
moi plus prosaiquement j’appelle un chat un chat, et l’héritage c’est au mieux « un de ces grands instants pathétiques, quand plus personne ne crache sur le fric »
(comme dirait Higelin, j’ai pas trouvé la video) et ou tout le monde se vautre dans des consensus mous, au pire des déchirements familiaux et des tragédies laissant des séquelles.
Je sais que je m’écarte un peu du sujet initial, mais comme Léon je pense que ce n’est pas un tabou que de vouloir taxer les héritages et comme tu le dis c’est une forme, et non la
moindre de perpétuer l’inégalité des chances. 😉
Léon,
comprendre la conscience de classe et le collectivisme pratique á la portée de tous, si ,si 😉