Pourpre antique, si précieuse…

Comme tout le monde je suppose, il m’est arrivé de tomber, dans ma jeunesse, sur des énigmes dont la solution ne m’a été connue que beaucoup plus tard.

Celle dont il va être question ici, n’a trouvé sa réponse que très récemment.

J’ai fait du latin de la sixième à la terminale ce qui comportait aussi des cours nombreux sur la Rome antique. Et j’ai toujours été intrigué par cette couleur pourpre tirée du murex dont les Romains semblaient si friands, mais qui était utilisée avec une telle parcimonie que les toges des sénateurs en avaient juste une bande. Pourquoi cette couleur et pas une autre, et qu’avait-elle donc de si particulier pour que Néron, dans sa folie, eût décidé de la réserver à son usage exclusif sous peine de mort ?

Je connais désormais les deux réponses à cette énigme venue du fond de mes humanités.

1. La teinture pourpre de l’antiquité, qui est en réalité un ensemble de couleurs allant du rose au violet suivant les variétés de coquillages et les procédés de teinture ( la couleur la plus recherchée étant un rouge profond ), était la seule teinture stable pour tissu de l’époque, ne « passant » pas, ni au soleil, ni aux lavages. Elle s’enrichissait même, avec le temps, de teintes nouvelles, plus profondes et plus lumineuses.

2. A cette propriété exceptionnelle s’ajoutait le coût exorbitant de la matière qui était, il faut le savoir, la plus précieuse de l’Antiquité, bien plus que l’or, l’argent ou quelque pierre que ce soit. La raison en est simple, d’après les calculs du chimiste Fiedlander il fallait environ dix mille murex pour obtenir un gramme de teinture pure. Et avec un gramme on ne devait pas pouvoir teindre une surface bien grande…

La main d’œuvre servile était certes bon marché mais tout de même, entre le ramassage, le travail minutieux pour en extraire la partie utile, puis la macération et les autres opérations nécessaires à la teinture, on comprend mieux pourquoi, lorsque Alexandre le Grand s’empare de Suze et y trouve cinq mille quintaux de teinture pourpre d’Hermion accumulée là depuis un siècle, il met la main sur le plus fabuleux trésor que l’on puisse imaginer dans l’antiquité…

D’après la plupart des historiens ce sont les Phéniciens qui auraient découvert le procédé. Cela est contesté par d’autres qui leur reconnaissent la diffusion commerciale dans toute la Méditerranée, mais pas l’invention qu’ils attribuent aux Egéens. Certaines cités, Tyr notamment étaient célèbres pour leur habileté.

On n’a pas retrouvé tous les secrets des teinturiers antiques mais fondamentalement les opérations principales étaient  les suivantes : il fallait casser la coquille du murex et en extraire la partie qui contient la glande dite « hypobranchiale ». C’est une petite bande d’environ deux centimètres de long sur cinq millimètres de large et de moins d’un millimètre d’épaisseur. C’est elle qui sécrète un mucus contenant ce que l’on appelle les « précurseurs » de la pourpre qui sont, comme pour l’indigo, d’abord incolores. Ces glandes étaient  laissées plusieurs jours à une température d’une quarantaine de degrés dans un milieu alcalin à base d’urine et d’autres ingrédients. Les tissus étaient ensuite trempés dans ces bains et exposés à l’air pour que la couleur se développe.
Ces activités dégageaient une puanteur épouvantable… Mais elles étaient si rentables que de multiples contrefaçons ont circulé tout au long de l’antiquité.

À force de ramasser des murex, l’espèce s’est raréfiée et de nouveaux procédés, moins chers, furent découverts (cochenille, particulièrement…).

Il ne me restait plus qu’un mystère à percer, son genre : c’est le pourpre ou la pourpre ?
La réponse est la suivante : le pourpre c’est la couleur, et la pourpre c’est la matière qui permet de produire cette couleur…

Dernière bizarrerie, « pourpre » est une exception : en tant que qualificatif de couleur se rapportant à celle d’un objet (comme marron par exemple), il n’est pas invariable et s’accorde au pluriel : « les toges pourpres des empereurs.… »

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AGNNP
AGNNP
29 mars 2011 8 h 38 min

Merci, m’sieur Léon, une lecture bien agréable et fort instructive.
Le pourpre de cette pourpe est il assez pourpre ?

maxim
maxim
29 mars 2011 9 h 08 min

ce qui est formidable,c’est que certains procédés de fabrication vraiment complexes et datant de plusieurs siècles n’aient étés jamais retrouvés,..

de même,ce fameux bleu utilisés par les maîtres verriers pour teinter les vitraux des cathédrales,on n’en a jamais retrouvé la formule !

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
29 mars 2011 11 h 17 min

Ah, revêtir la pourpre.
Passionnant
Les Phéniciens.Ce peuple qu’on devrait peut-être associer à l’expression greco-latine pour en faire nos racines phoenico greco latines.C’est à eux que nous devons l’alphabet.

Le mot grec Phénicien Phoinikes le peuple Phoiniké la région dérive de Phoinix « rouge pourpre »

Mais les Phéniciens eux même se désignaient sous le nom de? ? ?
Avaient-ils même conscience d’être un peuple?
Il semble bien que dès le IIIè millénaire ils se désignaient sous le nom de la région Syro palestinienne Canaan et Cananéens. Un texte d’Akad du IIè millénaire parle de kinakhnu qui veut lui aussi dire « rouge »
Bien plus tard Saint Augustin parlera des descendant des carthaginois sous le vocable de Chanani

C’est irrémédiable par les autres ou par eux mêmes les Phéniciens sont liées à l’activité la plus célèbre de la région. Extraire le pourpre.La région donna son nom à l’activité.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
29 mars 2011 11 h 21 min

Heuuuuu…
La création de l’alphabet est une longue histoire faite de trouvailles de reculs et d’oublis…qui s’étend de l’Egypte à Ougarit.
Sa diffusion en revanche semble bien revenir aux Phéniciens.

Lapa
Administrateur
Lapa
29 mars 2011 12 h 44 min

article très intéressant ma foi!

asinus
Membre
asinus
31 mars 2011 5 h 50 min

Soir de bataille
Le choc avait été très rude. Les tribuns
Et les centurions, ralliant les cohortes,
Humaient encor dans l’air où vibraient leurs voix fortes
La chaleur du carnage et ses âcres parfums.

D’un oeil morne, comptant leurs compagnons défunts,
Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes,
Au loin, tourbillonner les archers de Phraortes ;
Et la sueur coulait de leurs visages bruns.

C’est alors qu’apparut, tout hérissé de flèches,
Rouge du flux vermeil de ses blessures fraîches,
Sous la pourpre flottante et l’airain rutilant,

Au fracas des buccins qui sonnaient leur fanfare,
Superbe, maîtrisant son cheval qui s’effare,
Sur le ciel enflammé, l’Imperator sanglant.

josé maria de heredia

Léon
Léon
31 mars 2011 7 h 20 min
Reply to  asinus

Asinus, voilà une superbe idée : nous allons faire la promotion d’un peu de poésie! Je lance donc un appel à tout le monde : envoyez-nous sur César des poèmes que vous aimez (pas trop longs) ou des extraits d’une vingtaine de lignes, on leur trouvera une place sur Disons!
Magnifique poème de JM de Heredia

Léon
Léon
31 mars 2011 7 h 40 min

C’est fait, Asinus. Le poème de JM de Heredia est en page d’accueil il faut cliquer dessus pour agrandir.