Le Corbusier, ce mal-aimé

A la suite de l’article consacré à André Bruyère, j’ai été un peu étonné de certaines réactions assez hostiles par principe aux architectes et urbanistes. Elles allaient, si j’ai bien compris, dans le sens d’une critique d’un pouvoir maléfique et totalitaire de ces individus, capables de réaliser du n’importe quoi, imposer des formes et des matériaux dans le seul but de se faire mousser, de choquer, de se livrer à des exercices formels, de réaliser des prouesses techniques sans vraiment s’occuper  de l’humain, de l’habitable, du vivable.
Et l’architecte le plus souvent cité était le Corbusier, rendu coupable d’avoir permis de produire les cages à la lapin de Sarcelles et des autres cités construites sur la même esthétique brutaliste, faite de béton, de formes géométriques et d’espaces découpés à angles droits.

Ce n’est que partiellement justifié.

Il y a effectivement chez Le Corbusier un côté trop rationnel, normatif et quasi totalitaire lorsqu’il s’occupe d’urbanisme.

Il est sûr que lorsque l’on voit cette maquette d’une ville de 3 millions d’habitants, cela fait peur.

Lorsqu’on prend connaissance de sa proposition de raser une partie du centre de Paris, sur la rive droite, pour le remplacer par un système de bâtiments de formes géométriques ordonnés autour de voies qui traversent tout Paris et se croisent en son centre, on se dit qu’il y a un vrai dérapage mental et idéologique, sans doute inspiré par les utopies soviétisantes de l’époque.
( Il s’était opposé à la construction du quartier de la Défense et voulait le réaliser au pied de la butte Montmartre !)

Mais Le Corbusier, ce n’est pas que cela.

Il ne faut pas oublier le contexte très particulier de l’après-guerre où il fallait construire vite et pas cher, rénover un habitat populaire souvent insalubre et où des techniques de standardisation et de simplifications s’imposaient.
Ensuite, il ne faut pas confondre ce qui ressemble à du Le Corbusier avec du Le Corbusier. Son travail sur « l’unité d’habitation », comme La cité radieuse de Marseille, cette idée d’un village vertical sous forme d’une barre d’immeubles comportant des logements mais aussi ses commerces, ses écoles, ses installations sportives et médicales, ses lieux de rencontre, ne saurait en rien être confondu avec un de ces innombrables clapiers-dortoirs des cités de la banlieue parisienne. Extérieurement cela se ressemble, mais à l’intérieur cela n’a strictement rien à voir, ni dans l’agencement, ni dans les proportions, ni dans ses fonctionnalités. Autrement dit, c’est précisément tout ce qui touche à l’habitation, à la vie et à l’humain qui en diffère : le reproche de l’exercice formel et totalitaire est ici tout à fait infondé, et d’ailleurs, après avoir été la risée de Marseille, on s’aperçoit que les classes moyennes et les CSP + s’arrachent ces appartements tellement il semblerait qu’il y fasse bon vivre…

Les cinq points de l’architecture moderne

Le Corbusier a formulé ses cinq points de l’architecture moderne qu’il a d’ailleurs empruntés à l’école (d’architecture…) de Chicago de la toute fin du XIXe siècle, partiellement repris par les architectes de l’art nouveau.

Pour comprendre ces 5 points, deux remarques : d’abord, entre les deux guerres, beaucoup de médecins et d’hygiénistes réclamaient, pour lutter contre la tuberculose ,des bâtiments préservés de l’humidité et ouverts sur le soleil et la lumière. Le choix des bâtiments montés sur pilotis s’inscrit dans ce cadre, tout comme les toits-terrasses, ainsi que les très grandes fenêtre rendues possibles par la suppression des murs porteurs.

C’est en effet ce dernier point qui est, à mon avis, l’apport essentiel de le Corbusier à l’architecture : en remplaçant les murs porteurs par un système de poteaux intérieurs-poutres-dalles, les façades n’ont plus aucun rôle porteur et peuvent donc être percées de fenêtres gigantesques et toutes en longueur,  l’espace intérieur est totalement libre, plus aucun mur destiné à supporter la structure ne le traverse, il devient aménageable, cloisonnable à loisir. Ses 5 points sont les suivants.

1. Les pilotis (le rez-de-chaussée est transformé en un espace dégagé dédié aux circulations, les locaux obscurs et humides sont supprimés, le jardin passe sous le bâtiment),
2. Le toit-terrasse (ce qui signifie à la fois le renoncement au toit traditionnel en pente, le toit terrasse rendu ainsi accessible et pouvant servir de solarium, de terrain de sport ou de piscine, et le toit-jardin.)
3. Le plan libre (la suppression des murs et refends porteurs autorisée par les structures de type poteaux-dalles en acier ou en béton armé libère l’espace, dont le découpage est rendu indépendant de la structure),
4. La fenêtre en longueur (elle aussi, rendue possible par les structures poteaux-dalles supprimant la contrainte des linteaux)
5. La façade libre (poteaux en retrait des façades, plancher en porte-à-faux, la façade devient une peau mince de murs légers et de baies placées indépendamment de la structure).

Un très bon exemple est constitué par la Villa Savoye. De l’extérieur elle fait moche, sans âme ni grâce mais de l’intérieur, quand on voit les photos, il me semble que ce n’est pas pareil….

(Sur la 3e photo, celle du salon on voit bien les poteaux intérieurs qui remplacent les murs porteurs.)

Enfin, son travail sur le modulor, qui cherche les proportions idéales des espaces de vie, celui qui devait apporter le plus de confort  par rapport à un corps humain standardisé, et en utilisant le nombre d’or, est certes ambigu parce qu’il définit, en fin de compte, une norme uniforme, mais dénote une réelle volonté de ne pas faire n’importe quoi, sans tenir compte des gens qui allaient vivre dans ses habitations.

Dans un autre genre,  l’histoire de l’église de Faint Pierre de Firminy constitue un bon exemple  du désamour puis  de la réhabilitation du travail de Le Corbusier. Il faut reconnaître, tout de même que réussir à recréer grâce à des ouvertures placées et dimensionnées comme il le faut dans la voûte, la constellation d’Orion au-dessus de l’autel est une idée pas banale, une de ces idées qui donnent à un bâtiment un « supplément d’âme ».

Je demande l’acquittement, ou au moins une peine légère pour cet architecte…

-oOo-

Site conseillé sur Le Corbusier

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17 Commentaires
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J Carmet
J Carmet
14 septembre 2011 9 h 03 min

« une réelle volonté de ne pas faire n’importe quoi »… Serait-ce suffisant pour rendre un travail réussi ? 😀

Léon
Léon
14 septembre 2011 9 h 29 min
Reply to  J Carmet

Euh, si vous isolez une phrase de son contexte…

Dr kpote
Dr kpote
14 septembre 2011 9 h 14 min

Il valait mieux vivre dans ses villas que dans ses grands ensembles… On en revient toujours à la même chose. La villa Savoye, de l’extérieur, je ne la trouve pas si moche que ça, moi. Je suis même plutôt fan.

Léon
Léon
14 septembre 2011 9 h 23 min

Bonjour Dr Kpote ! je n’ai pas encore été voir votre blog, l’avez-vous alimenté récemment ?

Concernant la vie dans les habitats collectifs, oui une villa est toujours préférable. Mais il faut comparer les grands ensembles de Le Corbusier avec les autres ! Et là, il me semble qu’il n’y a pas photo!

Dr kpote
Dr kpote
14 septembre 2011 9 h 30 min

J’ai vécu un temps (si lointain) dans la fameuse « muraille de chine » à Saint-Etienne, dont le réalisateur (j’ai perdu son nom) devait être un fervent admirateur de Le Corbu. Et bien, le jour du déménagement, on était plutôt heureux d’en partir…
Pour mon blog, donc mon boulot, je reprend la route doucement. Bonne journée.

yohan
yohan
14 septembre 2011 10 h 20 min

Ado, J’ai eu la chance d’être invité par mon pote de l’époque à passer des vacances dans la villa de ses parents, construite au milieu des pins par le Corbusier en 1935 à la Palmyre, (à une époque où il n’était pas connu du grand public). Ultra moderne vu la date de la construction, beaucoup de lumière, maison qui tranchait avec ce qui se faisait autour. J’ai bien aimé cet endroit et ce qu’on y a vécu :oops:. Pour autant, je ne suis pas sûr que j’aimerai aujourd’hui vivre dans pareil bâtiment. Les goûts changent, les matériaux lassent. C’est pourquoi,il est assez délicat de juger le travail d’un architecte 70 ans plus tard. En tout cas, son influence sur l’architecture des années 70 est évidente. Mais copier n’est pas gage de qualité

maxim
maxim
14 septembre 2011 14 h 47 min

Dans le même style et pour le même effet il y a eu également Marcel Lods et Marcel Gascoin , le premier c’est surtout inspiré de la technologie US et le second de celles des Allemands Gropius et Waschmann …

à savoir des ossatures en béton vibré et des panneaux rapportés et ajustés sur place, chauffage par le sol et plafond ( déjà !!) tout de suite après guerre, grandes pièces largement vitrées avec portes fenêtres, vastes appartements fonctionnels avec tout le mobilier fixé en vrai bois de menuiserie, deux ou trois balcons par appartement suivant la position cardinale, résultat, des appartement vastes et lumineux , de 80 à 110 m2 habitables !

le plus bel exemple en est le Shape Village à Fontainebleau construit en 1951-1952 dans une portion de la forêt destiné aux Américains jusqu’en 1962 …d’autres ensembles très modernes construits dès le milieu des années 30 en RP et en Province , que ce soit pour l’habitat ou pour des établissements publics, …

alors bien entendu vus de l’extérieur ,les bâtiments du Shape Village que j’ai habité dans les années 70 ressemblent à ceux de Le Corbusier, mais une fois à l’intérieur, on vit dans un espace et une luminosité introuvables ailleurs !

finael
finael
15 septembre 2011 0 h 23 min

Mon grand père architecte, président de l’ordre des architectes d’Alger, n’aimait pas non plus Le Corbusier.
Il n’aimait pas ce qu’il faisait qu’il trouvait trop géométrique.

Comme quoi ce n’est pas seulement un rejet des architectes et des urbanistes en général.

Aria
Aria
15 septembre 2011 17 h 47 min

Moi non plus, je n’aime ni le Corbu ni le discours des architectes en général parce que précisément, ils ne sont pas urbanistes même quand ils s’en donnent le titre. Chacun semble soucieux de poser son petit caca là où on ly autorise sans se soucier de la commodité des lieux 😉
Leur discours vise à nous faire prendre des vessies pour des lanternes car ils causent bien et ça impressionne les commanditaires, surtout quand on n’y comprend rien.
On peut admirer un chef d’oeuvre du Corbu à Paris dans le 13ème, une barre destinée à l’Armée du salut qui n’a d’original que ses couleurs primaires.

On dirait que les archis ne se soucient pas de la vie à l’intérieur de leurs constructions et qu’ils se prennent pour des sculpteurs qui érigent des phallus (i)

Je trouve que Mallet-Stevens est bien plus intéressant que le Corbu mais il ne se préoccupait pas d’entasser le max de peuple dans le minimum d’espace, c’était un réac;-)Formes épurées, puits de lumière, grandes baies, grands sanitaires, vastes halls de dégagement, ben oui, difficile de donner ça au peuple…

Les Villes nouvelles qui ont tellement fait parler de leurs architectes étaient tellement bien conçues qu’elles ont favorisé l’inhumanité et les zones de non droit et les angines avec leurs agoras pleines de courants d’air….

Je me souviens de Roland Castro, « l’architecte du président » qui disait « quand c’est beau, on n’a pas envie de casser » pour défendre les petits kikis de ses copains dans les cités. L’avenir et notre présent ne lui donnent pas vraiment raison…

Aria
Aria
15 septembre 2011 17 h 48 min

J’oublais, le Corbu, il est arrivé après le Bauhaus, non ? Quel copieur !

Léon
Léon
15 septembre 2011 17 h 52 min

Mais si on ne fait pas appel à des architectes, alors à qui ? Lisez donc (un peu de pub, c’est un travail auquel je tiens …)
l’article sur A. Bruyère, vous serez peut-être moins sévère sur les architectes ?

Aria
Aria
15 septembre 2011 18 h 20 min
Reply to  Léon

Léon, pour ce que je comprends de votre article sur A.Bruyère, il parlait surtout de l’intégration architectonique des bâtiments et pas tant de la manière dont on y vit. C’est bien ce qui me gêne chez les architectes.
Moi aussi je trouve que l’isba en bois est bien agréable.
Aux USA, les espaces résidentiels sont constituées de petites maisons, techniquement semblables mais habillées de manières différentes, extrêmement confortables pour le quotidien. A l’intérieur tout est soigné, la plomberie par ex, une honte chez nous.
J’ai vu qu’on avait commencé à construire à Paris des ensembles de petites maisons style anglais, mur commun, petit jardin au moins devant, larges baies vitrées mais je n’y ai jamais pénétré.

Léon
Léon
15 septembre 2011 17 h 59 min

Euh, le Bauhaus, en architecture ?

Aria
Aria
15 septembre 2011 18 h 07 min

http://fr.wikipedia.org/wiki/Bauhaus#Le_Bauhaus_de_Berlin

Ben je veux que le BauHaus avait un atelier d’architecture et que le fondateur du mouvement, Walter Gropius (accessoirement énième époux d’Alma Malher, cf la poupée de Kokoshka) était architecte…

Léon
Léon
15 septembre 2011 22 h 00 min

Je parlais de la filiation entre le Bauhaus et Le Corbusier en matière d’architecture; je ne vois pas trop. Il s’agit, me semble-t-il, de préoccupations de natures bien différentes. Le Corbusier emprunte bien plus à l’école de Chicago qu’au Bauhaus. Enfin à mon avis.

maxim
maxim
16 septembre 2011 0 h 44 min

http://c.visuels.poliris.com/bigs/c/2/c/7/c2c7aa7b-3689.jpg…….un appartement type du Shape Village la Faisanderie construit de 1951 à 1952 .

maxim
maxim
16 septembre 2011 0 h 45 min

pas de bol ça passe pas !