Une nation de marins : le Portugal (1/3) Xavier


Au XVème siècle de notre ère, les mahométans ayant été boutés hors de la péninsule ibérique, le Portugal est devenu un royaume indépendant.[1]

Le roi Jean II (1455 – 1495) poursuit une politique de découvertes et de conquêtes coloniales.

Le principal instigateur de cette politique aura été le prince Henri le Navigateur (1394 – 1460)[2].

Un petit rappel s’impose :

  • 1427 : découverte et colonisation des Açores
  • 1434 : Gil Eanes double le cap Bojador
  • Mise au point d’un nouveau type de navire : la caravelle
  • 1441 : le cap Blanc est atteint par Nuno Tristâo et Antâo Gonçalves
  • 1443 : c’est au tour du banc d’Arguin de recevoir leur visite. Un fort y est construit en 1448
  • 1444 : Dinis Dias dépasse le Cap-Vert et reconnaît le fleuve Sénégal
  • 1452 : l’or commence à affluer dans le petit royaume
  • 1462 : Pedro de Sintra atteint l’actuel Sierra Leone

A sa mort en 1460, les objectifs rêvés d’Henri le Navigateur sont atteints :

  • contourner par la mer la mainmise des musulmans sur les routes commerciales donnant accès à l’or et aux richesses du continent africain.
  • le royaume s’est donné les moyens d’assurer son expansion par de nouvelles voies maritimes.

En janvier 1488, le cap de Bonne Espérance est franchi par Bartolomeu Diaz ouvrant ainsi la route vers les Indes et ses épices, elles seront atteintes moins de dix ans plus tard par Vasco de Gama. L’Extrême-Orient, Chine et Japon, sont en vue.

En moins d’un siècle, les marins portugais venaient de transformer le monde. Les espagnols n’ayant pas les deux pieds dans le même sabot non plus et afin d’éviter des conflits, le traité de Tordesillas[3] en 1494 partage le monde en deux : à l’Ouest du méridien 46° 37′ W les Espagnols, à l’Est les Portugais. Pour les Français, les Anglais et les Bataves : rien !

Après l’âge d’or vient le déclin et la disparition. Le Portugal perd sa dernière colonie importante, l’Angola, en 1975 à la suite d’une longue guerre d’indépendance (1961 – 1975). Après avoir consacré 40% de son budget pendant dix ans à ses guerres africaines[4], l’empire est mort, le Portugal est ruiné.

Du point de vue maritime, on peut en conclure que cette aventure n’aurait certainement pas vu le jour sans l’apport décisif des marins portugais tant dans le domaine marchand que militaire.

Si j’ai voulu rappeler cet épisode de l’Histoire, que certains qualifient de glorieux, et qui est connu d’à peu près tout le monde c’est tout simplement pour mettre en exergue une facette méconnue du talent des marins portugais. Au tournant du XIXème et tout au long du XXème siècle, ils vont être de nouveau à l’origine de la création d’une industrie maritime qui va se répandre dans le monde entier, qui va créé énormément de richesses et qui perdure. Mais avant d’en parler, il est nécessaire de se tourner une nouvelle fois vers le passé pour comprendre.

La grande pêche à Terre-Neuve[5]

Christophe Colomb découvre les Antilles en 1492. Cinq ans plus tard, deux italiens, les frères Cabot, « découvrent » et prennent possession de Terre-Neuve au nom du roi d’Angleterre. Il semble aujourd’hui acquis que les baleiniers basques fréquentaient déjà le golfe du Saint Laurent depuis un siècle à la poursuite des baleines et qu’ils y pêchaient également la morue.

« En 1501, le portugais Gaspard Corte-Réal, ignorant la découverte de Cabot, débarque dans la baie Notre-Dame, sur la côte orientale de l’île et plante le drapeau de son pays sur le Labrador et sur Terre-Neuve. Il dépêche une de ses caravelles à Lisbonne, pour annoncer ses découvertes puis, continuant son voyage, se perd corps et biens. »

A partir de 1506, Français, Anglais, Portugais et Espagnols arment librement, chaque année, pour la pêche à la morue à Terre-Neuve. Ce poisson salé a l’avantage de se conserver longtemps et d’être riche en protéines et autres éléments essentiels à la nourriture de l’homme. Il figurera au menu des marins en route pour les colonies, des soldats sur place et à celui des esclaves. Son abondance en fait un aliment bon marché.

Oui, mais encore, me direz-vous ?

A l’époque, les voyages à Terre-Neuve durent de six à huit mois, les conditions de navigation sont périlleuses. Ajouter à cela, les conditions de vie misérables au pays, l’instabilité politique … Tout cela fait que beaucoup de marins portugais préfèrent émigrer, avec leurs familles, vers les ports du nord-est du continent américain. Ils vont y créer une communauté importante de pêcheurs, notamment à Boston et dans les ports environnants, tout en gardant des liens étroits avec la patrie d’origine.

La chasse à la baleine[6]

Au début des années 1800, la chasse à la baleine se développe aux USA. Les principaux ports pratiquant cette activité sont New Bedford et Nantucket. Les marins portugais y prendront leur part soit comme matelots soit comme capitaines.

Les navires armés pour cette chasse ne sont pas construits pour la course, ils sont robustes, faits pour résister à toutes les conditions de navigation qu’ils vont rencontrer, des eaux tropicales aux mers polaires sans espoir d’assistance en cas de pépins. Ils se traînent à 5 ou 6 nœuds, cette expédition les mènera sur toutes les mers du globe.

A peine appareillé, le navire met le cap sur l’archipel des Açores. Là, les portugais, héritiers des traditions basques, pratiquent également la chasse à la baleine à partir du rivage, leur réputation n’est plus à faire[7]. A l’occasion, un ou deux indigènes embarquent pour la suite du voyage qui les mène jusqu’à Bonne Espérance en longeant les côtes d’Afrique.

A cette position, au lieu de mettre la barre à gauche pour entrer dans l’océan Indien, le navire continue sa route vers les mers australes, plein sud. Après quelques mois dans ces contrées inhospitalières, il remonte vers l’Indien qu’il traverse en diagonale vers les îles de la Sonde et les moluques.

Ensuite vient la remontée vers le Japon, les îles Kouriles, la traversée du Pacifique nord par la mer de Béring à destination de l’Alaska. Commence alors la lente descente du Pacifique vers les côtes de Californie et du Mexique.

Enfin, le pacifique sud et le cap Horn, mais là où les navires de commerce sont bien contents de doubler le fameux cap et de sortir de l’infernal passage de Drake, les baleiniers eux s’y complaisent en descendant plein sud jusqu’à la banquise.

Après quelques temps passés dans ces mers hostiles vient le moment de mettre cap au nord et d’envisager la rentrée sur Nantucket ou New Bedford. Le retour vers la civilisation, la campagne a duré de 3 à 5 ans.

Là encore, cette activité maritime, comme la pêche à la morue sur les grands bancs, entraînera une immigration importante de marins portugais, toujours en relation avec la Mère-Patrie. A tel point, qu’aujourd’hui, la communauté portugaise représente 60% de la population de New Bedford[8].

A son apogée, la chasse à la baleine permettra aux habitants de New Bedford de bénéficier de la plus grande richesse par habitant au monde.

Le grand chambardement

Trois éléments méritent d’être pris en compte pour comprendre la suite :

  • La ruée vers l’or des années 1848 – 1856 : dans ces années, la Californie connaît LA ruée vers l’or. Une folie ! De partout affluent les candidats à la fortune. On assiste alors à une émigration massive vers la côte Ouest[9]. Tous les portugais de la côte Est n’échappent pas aux chants des sirènes[10].
  • Le déclin de la chasse à la baleine : à partir de 1859, le pétrole devient une alternative à l’huile de baleine. Le coup de grâce viendra en 1871 quand la flottille de New Bedford perd 22 baleiniers dans les glaces de la côte d’Alaska. Que faire d’autre que la chasse à la baleine ? Peut-être qu’en Californie ?
  • Les conditions de vie sur les grands bancs : les pêcheurs de morues à Terre Neuve ont entendu leurs collègues baleiniers leur parler des côtes de Californie, de son climat agréable comme au pays, de la douceur de vivre qu’on y rencontre . Et puis comme il y a de la mer, il doit bien y avoir du poisson à pêcher, de quoi gagner sa croûte sans morfler comme ici. Et puis comme dit l’autre : « la misère est moins dure au soleil ». D’ailleurs, il y a déjà des chinois, japonais et italiens qui s’y occupent.

C’est ainsi que les marins portugais vont débarquer en Californie à la fin du XIXème siècle. La mythique  » route 66  »  n’existe pas encore mais l’achèvement, en 1869[11], du premier chemin de fer transcontinental facilitera la migration[12]. Ils seront suivis au tout début des années 1900 par des compatriotes qui s’exonéreront du passage par les brumes, glaces et  tempêtes de l’Atlantique Nord-ouest .

Au début du XXème siècle à cet endroit, la Californie, les conditions sont réunies pour l’émergence d’une industrie maritime d’importance. Ce sont les marins portugais qui vont la mettre en œuvre.

A suivre …

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Sources :

  1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Portugal
  2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_le_Navigateur
  3. http://fr.wikipedia.org/wiki/Trait%C3%A9_de_Tordesillas
  4. http://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_d%27ind%C3%A9pendance_de_l%27Angola
  5. http://www.fecamp-terre-neuve.fr/Historique/GrandesDates.html
  6. http://www.newbedford-ma.gov/Tourism/OurHistory/Historyofnb.html
  7. http://pdfcast.org/pdf/les-derniers-chasseurs-de-cachalots-en-atlantique-nord
  8. http://www.newbedford-ma.gov/Tourism/OurHistory/Historyofnb.html
  9. http://fr.wikipedia.org/wiki/Ru%C3%A9e_vers_l%27or_en_Californie
  10. http://fr.wikipedia.org/wiki/Portuguese_Flat_%28Californie%29
  11. http://fr.wikipedia.org/wiki/Premier_chemin_de_fer_transcontinental
  12. wikipedia :

« Il n’y avait pourtant pas de route évidente pour se rendre en Californie. Les forty-niners faisaient face à de nombreuses difficultés et beaucoup pouvaient trouver la mort sur les chemins de la conquête de l’or. À l’origine, les Argonautes (comme on les appelait alors) voyageaient par la mer. Au départ de la côte est, un voyage par le cap Horn prenait entre cinq et huit mois et couvrait une distance de 33 000 km. Une alternative était de rejoindre la côte est de l’isthme de Panama puis, à l’aide de mules et de canoës, traverser, pendant une semaine, la jungle jusqu’à la côte pacifique et d’y attendre un navire faisant route vers San Francisco. Une autre route à travers le Nicaragua se développa en 1851, mais elle n’eut pas la popularité de celle du Panama. Il y avait aussi une route traversant le Mexique au départ de Veracruz. Par ailleurs, beaucoup de chercheurs d’or empruntaient une route terrestre à travers les États-Unis, en particulier en suivant la California Trail du Missouri à la Californie. Chacune de ces routes avait ses propres risques mortels : naufrages, fièvre typhoïde ou choléra. ».

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D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
31 décembre 2012 22 h 21 min

Bonjour Xavier.
Ton sujet me plait Xavier. Qui sait si je sors de mes silex je viendrai m’y accrocher . Une sorte d’embranchement sauvage .
Je ne peux jurer de rien.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
1 janvier 2013 14 h 53 min
Reply to  Xavier

Bonne année à tous.
J’ESPLIK
On nous a souvent présenté les voyages et les découvertes comme les mobiles premiers en laissant de coté les échanges et les besoins.
Les voyages ne sont en fait qu’une technique pour assouvir aux deux bouts de la boucle la satisfaction de besoins.
Ce sont donc les produits et les techniques qui décident si oui ou non cela vaut le coup d’entreprendre ces folies de voyages sur mer .On ne dit pas assez aux enfants des collèges combien les voyages sur terre étaient encore plus dangereux combien plus lents. Les 70 jours de Colomb masquent tout. On insiste pas assez su la richesse de l’Empereur du Mali qui couvert d’or et d’esclaves entreprit un voyage de plusieurs dizaines de milliers d’hommes en pélerinage à La Mecque? Et ce mythe si cher aux Afro-centristes d’une expédition du en Amérique par le Même en ce début de XIVè siècle
On ne dit pas assez et pourtant c’est simple que parfois l’échange se résumait à produits rares et précieux contre des boulets ou des balles.

Ce pouvait être pire pour l’occident , quand parti à la recherche de métal précieux il se vidait de son « argent métal » au profit de la Chine.

Tout ça peut faire la matière de nombreux Nartics, Les Portugais en découvrant une route supprimaient nombre d’intermédiaires et empochaient toute la différence Bombay Goa, ➡ Alexandrie Antioche ,:arrow: Venise Gênes
.
Pourquoi le silex…bin …parce que ce fut le silex tout simplement

asinus
Membre
asinus
1 janvier 2013 10 h 01 min

yep ,  » comme un vol de gerfault hors du charnier natal , de Palos de Moguer routier et capitaine ….. »
le vent du large grace à l’article de Xavier ! l’air du grand large ….

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 janvier 2013 21 h 18 min

Bonsoir Xavier
Excellent document sur Arte ce soir sur la chasse à la baleine et les USA.

D. Furtif
Administrateur
D. Furtif
5 janvier 2013 21 h 21 min
Buster
Membre
Buster
6 janvier 2013 0 h 22 min

Bonsoir Xavier,

Merci pour ce bel article !
J’ai le souvenir d’avoir détaillé presque religieusement la rose des vents située en face de San Jeronimos, et d’avoir lentement, scrupuleusement, déchiffré toutes les dates, toutes les directions et les destinations de ces fabuleux découvreurs portugais.
Cette simple rosace, bien plus que le monument très imposant situé à côté, m’avait plongé dans des délices d’imagination et de rêverie.
Une fièvre, qui devait être celle de la population portugaise d’il y a 5 siècles et qui vivait au rythme de ces découvertes semblait m’avoir presque gagné, moi aussi.
J’ai peu d’autres souvenirs d’avoir expérimenté une telle communion avec l’histoire.