Suite aux articles sur les OGM et la simulation (1) , il m’est venu à l’esprit de faire une petite série de considérations sur quelques aspects de la recherche scientifique. Bien sûr, tout cela est tiré de mon expérience personnelle, mais cela peut donner quelques pistes de réflexions face à l’actualité.
Ah les médias…
Pas facile d’être scientifique aujourd’hui. On pourrait croire le contraire tellement notre monde est porté sur la technologie et le progrès, mais en réalité il n’en est rien.
Un scientifique est quelqu’un de particulièrement incompréhensible et surtout, non adapté à un monde de choc médiatique permanent. Ainsi, peu importe si nos concitoyens ont à disposition plus de connaissances que n’auraient pu rêver Leonard de Vinci ou Isaac Newton, puisque de toute façon cette très large majorité de personnes (dans laquelle on peut s’inclure dans bien des domaines) est totalement incapable de comprendre ce qu’elle a à disposition.
Ainsi dans notre monde, certains se croient écrivains (forcément maudits) en tapotant quelques lignes sur une plate forme de blogs, de même d’autres se croient scientifiques après avoir fait une règle de trois et lu un article wikipedia. Mais la science, ce n’est pas que des résultats et des théorèmes, c’est aussi tout le raisonnement qui a conduit à ce qui est présenté. C’est se taper des heures et des heures d’exercices et de problèmes dans des espaces vectoriels normés de dimension infinis, dans des équations complexes, des expériences contraignantes, des milliers de choses à comprendre, des confrontations de résultats, et un raisonnement, rigoureux à tenir. Réussir à prouver, c’est une très belle conquête de l’esprit humain.
Bref, l’être autodidacte de notre société de l’information qui se trouve à profusion n’a rien à voir avec la science. La vraie.
Et puis quand vous commencez à discuter de science et de recherche avec un relai médiatique (au hasard un journaliste), vous allez vous heurter à deux obstacles majeurs :
D’abord ce que vous dites est bien trop compliqué. On vous le fait remarquer. Le journaliste dira que c’est pour ses lecteurs, mais c’est déjà le cas pour lui. En gros on va vous demander très vite de simplifier. C’est le maître-mot. Simplifier oui mais jusqu’à quel terme ? Que doit-on perdre en précision et véracité pour gagner en compréhension ?
Face à ce dilemme, le journaliste a l’outil tout fait : il faut une genre de métaphore, une comparaison, quoi, que les gens comprennent vite, en une seule lecture ou audition. Et là, souvent la reformulation journalistique tient dans le grotesque, souvent à tel point qu’on grimace un peu en essayant un « oui mais non ce n’est pas tout à fait ça… », puis on lâche l’affaire. Qu’importe que l’article confonde des choux et des carottes ou fasse des comparaisons bidon après tout, l’essentiel n’est-il pas que le client ait l’impression de se cultiver ?
Le deuxième obstacle c’est que, vous devez savoir. Forcément. Ainsi sur tel sujet, le résultat doit être clair : oui ou non, vrai ou faux, nocif pas nocif…. Impossible de penser que le scientifique puisse dire « mais on n’en sait rien » ou pire « on ne peut pas prouver que ». Il faut être catégorique, parce qu’en face, le mec qui s’est formé sur internet, lui il est catégorique et avec des chiffres lui, il arrive toujours à des conclusions blanches ou noires.
Inviter un puit de science pour s’entendre dire qu’on n’est pas encore assez avancé pour prouver quoi que ce soit c’est juste une bévue médiatique de premier ordre. Aussi on préfèrera les experts et autres militants qui eux, sont sûrs de leur coup.
Il faut donc être simple et catégorique, quitte à être limite avec la réalité.
Et surtout, après un temps considérable passé en interview, en relecture et réécriture des formules journalistiques, il faut, une fois l’article publié, se taper les coups de fils des collègues qui demandent si c’est bien notre personne qui a écrit « toutes ces conneries ».
Un débutant se fera avoir. Tout débutant s’est fait avoir. Je me suis fait avoir. Puis à mesure que l’expérience arrive, on fuit comme la peste les débats spécialisés ou autres communications à titre informatif. On rigole en voyant les « experts » sur les plateaux télé. Bien souvent des communicants plus que des sachants. On connaît par chœur leurs tirades, on sait également les questions qu’il faudrait poser pour les coincer.
Puis on se dit qu’il serait bête de casser la représentation médiatique de notre monde. Le spectacle est sans cesse renouvelé, ce serait dommage.
Certains se sont fait à l’idée et acceptent toutes les concessions nécessaires à la bonne information du public. Ils font ce qu’on appelle de la vulgarisation. C’est un rôle de composition. Le problème c’est que souvent, cette vulgarisation façon chimie amusante est citée comme donnée de référence. On en est souvent loin.
Le savoir prend du temps, les contraintes sont nombreuses, les baffes aussi. Ce sont des choses totalement incompatibles avec nos modes de vie et de pensée actuels. Tant pis on se contentera d’ersatz!
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(1) http://www.disons.fr/?p=32661 et http://www.disons.fr/?p=19450
Lectures :10274
Ah les médias… tout à fait d’accord. Cependant, dois-je rester ignorant sous prétexte qu’il n’est pas facile pour un scientifique d’expliquer et pour un journaliste d’informer ? D’autre part, la science n’est pas seulement mathématique, il y a la confrontation à la réalité : « C’est la théorie qui détermine ce qu’on peut observer. » Observation, théorie, raisonnement, observation.
Le sujet est éminemment complexe et passionnant. Certaines « matières » se prêtent plus facilement que d’autres à de la vulgarisation, mais c’est vrai, il me semble que seuls les scientifiques eux-mêmes sont en mesure de le faire correctement.Je pense, par exemple, à cet extraordinaire vulgarisateur qu’est Hubert Reeves. Mais, il y a forcément des limites. J’ai le souvenir de Pivot, à Apostrophes, demandant à un chercheur en mathématiques sur quoi il travaillait, celui-ci avait répondu qu’il lui était impossible de l’expliquer. (Peut-être dix personnes dans le monde auraient-elles pu comprendre ?)
En même temps, j’ai à titre personnel une véritable soif de mise à ma portée de trucs incompréhensibles pour moi. Alors, comment faire ? L’information du citoyen lambda sur la science est presque un pb de démocratie.
vaste sujet sur lequel je n’ai absolument aucune solution 🙂 On pourrait croire que je suis contre la vulgarisation mais c’est faux, l’exemple de Reeves est d’ailleurs excellent, juste que notre mmonde a un peu trop tendance à ne prendre plus que cette vulgarisation comme base.
Comment concilier information du citoyen et science? pas facile. Une piste déjà serait de relever le niveau scientifique de la population en générale. Les mathématiques sont un merveilleux outil, mais ne sont utilisées dans l’enseignement secondaire que pour effectuer une sélection pour la carrière de futures grands (et moins grands) cadres. Il y aurait peut être mieux à faire.
De même, perdre en précisions dans de nombreux domaines n’est pas rédhibitoire. Sauf quand ça touche à la vie des gens, à leur santé ou à des projets de vie sociétaux. Comment faire?
La vulgarisation peut jouer le rôle stimulant de créateur d’envie.
C’est incroyable ce que la rage de savoir peut bousculer les montagnes.
Oui, ça, élever le niveau scientifique est une bonne piste, certainement. Essentielle, même.
Et bien voilà ! c’est un article que j’avais rêvé de faire mais je n’avais pas la légitimité scientifique pour le faire, en somme l’ignorant qui sait qu’il l’est mais qui a compris aussi que l’être ne l’empêchait pas non plus de comprendre le pourquoi, à la fois de sa propre ignorance mais aussi de ce qu’il voudrait essayer de savoir.
En fait Lapa, tu as entièrement raison lorsque tu parles des métaphores débiles créées pour le grand public, d’ailleurs les scientifiques eux-mêmes en usent largement pour tenter de se représenter ce qu’ils ne peuvent pas voir, mais je pense que tu as aussi un peu tort : l’idée c’est de donner un concept hyper simplifié général, le grand public n’a pas besoin de plus, les scientifiques non spécialistes du concept non plus.
Ton article me fait penser à la dualité qu’il y a entre sciences et philosophie, et il est certain que de nos, d’ailleurs depuis décennies, le côté philosophie/transmission de connaissances est battu en brèche par l’hyper spécialisation scientifique. Ce qui revient à dire que nos philosophes actuels n’ont plus aucune légitimité à l’être.
Quand on n’est pas un membre de cette tribu étrange des scientifiques la première chose à faire est d’écouter ce qu’ils nous disent, et puis chercher comment on peut aider pour leur rendre les services qu’on leur doit.
La science c’est d’observer un annuaire téléphonique et d’en tirer = le baby boom, les 30 glorieuses, les mouvements de populations etc ….
Évidemment face à un tel dilemme on peut agir en autodidacte et on sera mort bien avant.
Une autre manière est de faire des sciences.
Les scientifiques ne sont pas des surhommes mais ils voient plus haut plus loin et plus vite.
Ils se montent sur les épaules les uns les autres depuis des millénaires.
Ils font eux mêmes leur ménage et se débarrassent des vieux escabeaux qui ne leur servent plus à rien et ils sont champions comme fabriquants de lunettes.
Bien sûr ça aide
Plus fort que tout ils se transmettent des trucs de scientifiques ( z’appellent ça des grilles de lectures) qui leur disent ce qu’il faut aller voir dans les annuaires téléphoniques.
Si j’étais en forme je vous dirais encore que les scientifiques sont des mecs qui , eux assurent que le temps travaille pour eux, alors loin du bruit et de la fureur ils comptent leurs grains de sable.
J’en connais qui sont capables de compter les étoiles.
Complément
Le scientifique doit se coltiner toute l’échelle de ses prédécesseurs montés les uns sur les épaules des autres .
Ferait bien de s’y prendre le plus tôt possible.
C’est bien pourquoi devenant de plus en plus longues il est impossible de les gravir toutes
Eh ouias, chaque génération qui arrive part du plus haut point atteint par la précédente; ça fout le vertige.
Oui, Furtif, « les scientifiques sont des mecs » ? Ceci dit, j’adore le ton Disons, direct, désinvolte, un peu grande gueule. 🙂 Je reviens sur la vulgarisation : dois-je faire des études de médecine pour comprendre ce que me dit mon médecin ? Un scientifique n’aura-t-il pas le même problème ? Par exemple quand on travaille sur la physique de la matière, devra-t-on également suivre un 3e cycle de chimie ou de biologie pour comprendre la recherche de ses collègues ? Si on oublie les paresseux, médiatiques ou pas, comment s’informer intelligemment dans un monde qui a atteint une telle complexité ? Il me semble qu’un problème de confiance se pose.
Oui, excellent commentaire! Le problème de confiance, vaste débat.
une pointe d’humour pour ce qui concerne les langages hermétiques:
http://www.youtube.com/watch?v=7w2VbOoXE2k
Bonsoir Jacques Un jour il y a 20 ans j’ai été confronté au cas concret de la vulgarisation scientifique appliquée. Dans les couloirs de l’hôpital que je fréquentais mensuellement pendant 15 ans , une affiche proclamait le droit imprescriptible du malade d’avoir des précisions sur son traitement et la capacité de choisir le dit traitement …..qu’ils disaient sur l’affiche. Cette affiche si elle pouvait plaire à ceux qui adorent jargonner le médical ( j’en connais qui jargon le psychiatrique sur le Net) Cette affiche donc m’avait choqué. Ce jour là j’avais consultation avec mon médecin traitant. Pour éclairer un peu je donne des sous titre. J’étais le lauréat d’une loterie à l’époque assez peu courue. J’étais atteint par une hépatite C dont on ne sut jamais ni quand ni où je l’avais contractée. Je savais que je suivais un protocole de traitement dont ni mon toubib ni moi ne savions si il aurait de bons résultats. La consultations se déroula comme d’hab , Lecture des Nanalyses et entretien . J’évoquais alors les affiches et confiait combien elles me semblaient un enfumage démagogique. Mon(ma) toubib ayant déjà évoqué devant moi combien elle cherchait et combien elle partait à Tokyo, Chicago, Bâle , pour suivre les progrès de la recherche de ses collègues et surement présenter les siens… Nous partageâmes un sourire. Je sais toujours le nom des médicaments que je prenais alors , mais à part leur orthographe et le visage de l’infirmière qui m’administrait des piqures biquotidiennes pendant 15 ans …Là s’arrêtait mes compétences. Découverte à 45 ans je fis connaissance de cette saleté en trainant dans les maisons de la presse consultant les revues qui en parlaient. À l’époque pas d’internet. Bin je crois qu’en matière scientifique sauf à faire des études spécialisées nous sommes tous dans la même situation. Il y a ceux qui se sont donné le mal d’apprendre et qui courent le risque de vous piloter les centrales les avions ou les trains ….de soigner votre corps et les autres . C’est pourquoi , je conserve le respect , pour ces mecs les scientifiques, et mon mépris pour les charlatans , mais ça c’est une autre histoire. Disons est issu d’un conflit contre ces charlatans. C’est pourquoi on peut prendre pour un esprit « grande gueule » une intransigeance que l’âge et les épreuves traversées nous autorisent. Nous pouvons nous permettre de dire jamais en sachant que tenir… Lire la suite »
Qu’est-ce qu’un scientifique compétent, un scientifique incompétent et un charlatan ? Si la réponse à cette question était facile, il n’y aurait pas eu d’affaire du sang contaminé, d’affaire de l’amiante et on ne se poserait pas tant de questions sur les OGM, le changement climatique ou l’effet placebo (dans ce cas, une prière à Lourdes peut-être aussi efficace qu’un médicament). Ce qui est une vérité scientifique à un moment donné devient une erreur à un autre moment et ce qui était une affirmation non démontrée peut devenir ensuite une vérité scientifique, en attendant d’être supplantée par une autre. La science nait avec le doute, c’est le contraire des certitudes religieuses et pourtant, certains scientifiques ne se comportent-ils pas comme des papes qui savent où est la vérité et où est l’erreur ?
Bpnjour Nogat
Ton interrogation en amène évidemment une autre.
Il est vrai que certains praticiens se sentent au delà de tout ( » Ils ne touchent plus l’eau ») et se croient capables de miracles.
Mais cette dérive n’est-elle pas induite par une demande irrépressible de nombreux patients à ce qu’ils fassent des miracles.
La fragilité morale des malades contaminerait alors l’esprit de mesure.
C’est la vieille parabole de Simon le magicien
.
Je n’évoquais là que le cas de gens sincères
Il ne faut pas oublier les charlatans assumés qui ne méritent que les sanctions les plus dures
la réponse à la question est au contraire facile. Le problème n’est pas de reconnaître ou pas un charlatan. Le problème est que celui-ci s’adresse à une petite part d’irrationnel présente dans chaque être humain et que « on a envie d’y croire ». L’identification du charlatan, de façon factuelle est particulièrement aisée. Si le charlatan existe (et existera toujours), c’est le problème des récepteurs en face qui sont demandeurs. Au pire, on vous rétorquera qu’ils n’ont tué personne. C’est souvent vrai (encore que soigner son cancer avec du gui « thérapeutique »…); la connerie ne tue pas, ou du moins, pas assez.
les affaires sang contaminée, amiante ou OGM ne sont pas des problèmes scientifiques. Ce sont des problèmes éthiques et politiques.
le changement climatique est un autre problème également. Scientifiquement c’est un problème très complexe qui ne met pas en accord l’ensemble de la communauté scientifique sur certains aspects. Par delà ça, c’est une excellente illustration du dévoiement de la communication politique ou de la dérive de la recherche au service de loobies politico-économiques.
Voir mon article sur la science prédictive et la simulation. Ce qui est en cause dans la plupart des cas reste le relai médiatique qui est fait du travail scientifique. Et le biais que seule la confrontation et les études de répétabilités peuvent enlever.
La question de la confiance me semble, en effet, une notion-clé. Je n’y avais pas pensé de cette manière. Mais d’où peut nous venir la confiance ?
A la réflexion, de ce que l’on appelle généralement la méthode scientifique : on sait qu’elle ne peut se dispenser des preuves, qu’elle est contrôlée par l’ensemble de la communauté scientifique, qu’elle repose sur l’acquisition de connaissances vérifiables mais aussi critiquables.
Là je rejoins Furtif dans mon respect pour eux. Sans être aveuglé non plus…
Ce n’est pas que je sois aveuglément confiant encore moins fataliste, mais il y a longtemps que j’ai jugé plus raisonnable de ne pas entrer dans les cockpits des avions pour montrer aux pilotes comment faire leur boulot.
Ma conception du sérieux passe par reconnaitre ma totale incompétence dans un certain nombre de problèmes qui représentent quand on l’envisage un nombre certain.
Je préfère me rendre utile là où je peux et là ….je dois bien avouer que je suis une véritable teigne.
Un exemple à la portée de tous
Je sais déplacer les êtres et les objets à distance.
C’est comme ça que j’ai fait tomber un type qui le méritait tellement il nous faisait chier à 200 mètres de distance.
C’est tellement vrai que le type m’a couru après pour me le reprocher.
Autre chose : je suis incapable de mentir.
Ça vous la coupe hein?
Yep, ça me la coupe, jamais j’aurais pensé que tu l’utiliserais ce pouvoir.
P’tain !!!!!!!!je viens tomber de ma chaise ! C’est toi furtif ❓ 👿
Mon bagage est bien mince mais il est capital.
La page de Moorea sur la mayonnaise du complot
L’article de Lapa …atendez que je trouve le titre ….la rhétorique du miroir déformant
Un petit peu de méthode beaucoup de mémoire
.
Ça marche avec tout, même avec les types qui vous envoient vers des liens qu’ils n’ont même pas lus.
il est trop magnifique ce blog merci beaucoup avez vous d’autre article de ce genre merci en tout les cas a bientot :))
Bin c’est que les Nartics , on fait c’qu’on peut